La rade de Brest et les huîtres plates partagent une histoire commune qui remonte à plusieurs décennies, si ce n’est plusieurs siècles. Pourtant, si elle constitue une activité phare de la rade pendant de nombreuses années, elle se retrouve éclipsée par la pêche d’autres espèces marines (coquilles Saint-Jacques, pétoncles, praires,…) dans le courant du XXe siècle. Toutefois, l’abandon de cette pratique résulterait-il d’un effet de mode ou bien de l’appauvrissement des huîtrières de la rade de Brest ?
Bien que très complexe, la vie d’une huître plate peut se résumer en plusieurs phases.
Tout commence avec leur naissance. Après une période de fécondation interne, la femelle adulte expulse les jeunes larves dans la colonne d’eau. Dès lors, au cours des dix à vingt premiers jours, la larve part chercher un endroit (substrat) à coloniser selon plusieurs critères : salinité, lumière, courants, prédation, pression, sons,… Dans le cas de la rade de Brest, plusieurs types de fonds peuvent la séduire (rocheux, sableux, vaseux ou de maërls) tant qu’elle évolue dans une zone infralittorale, c’est-à-dire un espace compris entre l’estran et environ 20 mètres de profondeur. Une fois les conditions optimales réunies, la jeune huître se fixe sur le substrat et s’y installe définitivement. A cette étape, l’huître mesure environ 1 cm et s’engage dans sa phase dite juvénile. Ensuite, elle grandit jusqu’à atteindre 10 cm ; taille à laquelle elle entre dans sa phase adulte et peut assurer la reproduction [1].

L’huître plate est très importante pour l’écosystème de la rade de Brest. En fait, elle est considérée comme une espèce ingénieure. On entend par là qu’elle modifie significativement, par sa seule présence, l’environnement et créée des habitats pour une centaine d’espèces [2] !
De plus, il est important de noter que l’huître plate fait partie de la famille des filtreurs. Elle filtre donc l’eau de mer pour se nourrir des petits organismes qui y évoluent. Par ce mécanisme, ces espèces réduisent la turbidité des eaux et améliorent leur qualité. Par ailleurs, la formation de bancs d’huîtres plates sur les substrats stabilise considérablement les sédiments et lutte contre l’érosion en formant des brise-lames naturels [3]. De ce fait, comparer le rôle écologique des huîtres plate à celui des récifs coralliens est loin d’être fantaisiste ! Il est donc relativement aisé d’imaginer les répercussions d’une surexploitation et de la réduction de cette ressource sur l’ensemble de l’écosystème. C’est pourquoi, un petit retour dans le passé pour étudier l’évolution de sa pêche pourrait nous aider à comprendre celle de l’écosystème de la rade de Brest.

Au milieu du XIXe siècle, plusieurs rapports [5] tirent la sonnette d’alarme en même temps que les pêches se font moindres. Face à cette situation préoccupante, l’Etat intervient et légifère. En premier lieu, un arrêté promulgué le 7 aout 1849 répertorie les huîtrières de la rade en 18 zones pour mieux les contrôler et les surveiller. Ensuite, une commission chargée de visiter chaque année les bancs d’huîtres et d’autoriser – ou non – leur exploitation, est créée en 1853. Puis, le gouvernement soutient les tentatives de repeuplement menées par le ministère de la Marine et d’autres initiatives privées [6].
Plusieurs grands noms de l’ostréiculture (Victor Coste et Ferdinand de Bon) se mobilisent donc pour contrôler l’élevage de cette espèce en rade, en vain. En effet, bien qu’ils parviennent à récupérer en 1859 les frais et naissains sur des fascines – clayonnages formés de branchages ancrés au fond –, celles-ci sont emportées par les courants lors de l’hiver suivant et sont pillées par les riverains pour leurs cordages [7]. Dès lors, les tentatives ostréicoles se soldent par un échec cuisant et la pêche des huîtres plates est divisée par vingt entre 1850 et 1860 [8]. Malgré tout, le dragage reprend de plus belle durant cette décennie et semble durablement toucher la rade de Brest.
Portrait de Victor Coste (source: wikipédia)
Si l’année 1866 laisse apparaître une situation heureuse dans laquelle « il existe dans le quartier 33 parcs ou dépôts dans lequel le coquillage prospère [9]», les autres années affichent un constat nettement plus terne. Entre 1867 et 1888, il est fait mention à de multiples reprises de la «pauvreté [10] », « l’épuisement [11] » des bancs, ou encore « de gisements à peu près ruinés [12]». Comme pour compléter ce constat, le dragage des huîtres plates a été interdit pendant 17 années entre les seules saisons de 1866 à 1887 [13]!
En 1885, l’appauvrissement des bancs de l’Elorn et du pourtour sud de la rade est tel que les autorités maritimes sont contraintes de déclasser ces bancs. En d’autres termes, elles n’inspectent plus ces gisements trop pauvres en huîtres. Plus concrètement, une légende de carte conservée au Service Historique de la Défense de Brest nous éclaire sur les bancs d’huîtres plates encore exploitables. Désormais, il semblerait que les habitués brestois doivent rechercher ces bivalves dans le fond de la rade.
Ne pouvant donc plus se contenter des huîtres plates, les pêcheurs trouvent quelque réconfort auprès d’autres ressources. En effet, les chaloupes très polyvalentes employées par les pêcheurs de la rade leur permettent de s’affairer aux amendements marins (maërl, goémon, sable coquillier) et autres poissons frais, desquels ils tirent leurs principaux revenus. Pourtant, le repos temporaire de ces huîtrières permettrait-il leur régénération ?

Face à cette situation à première vue inédite, l’activité de pêche des huîtres plates est peu à peu restreinte, si ce n’est cadenassée. A partir de 1924, les rapports de commission de visite des huîtres conservés au Service Historique de la Défense de Brest nous informent un peu plus de l’état de santé de ces gisements. Pour rappel, ces commissions sont chargées d’inspecter chaque banc d’huîtres plates de la rade afin d’autoriser — ou non — leur ouverture à la pêche pour l’année à venir. Là encore, l’analyse de ces documents révèle que de nombreux bancs ont été interdits à la pêche entre 1924 et 1937. Mieux encore, ces quelques dossiers attestent d’une restriction du temps de pêche. Alors que le dragage des huîtres plates a été autorisé les mois en « r » pendant plusieurs décennies, les pêcheurs professionnels de la rade doivent désormais plonger les dragues certains jours seulement, et ce pendant quelques heures. En 1924 par exemple, la pêche de ces bivalves est uniquement autorisée deux journées sur le banc de Saint-Jean et dix jours au mois de février pour le banc du Poulmic…
Si l’on s’attarde sur ces mêmes rapports, deux principaux arguments sont invoqués pour justifier ces interdictions. Assez généralement, la commission constate « que plusieurs gisements paraissent en bonne voie de reconstitution mais qu’il n’existe pas actuellement de bancs qui puissent être ouverts à la drague [17]». En d’autres termes, les bancs montrent des signes encourageants de reconstitution qu’il ne faudrait pas anéantir par une exploitation précoce. Puis, certains bancs peuvent être interdits au dragage, faute d’huîtres. Ce cas est particulièrement vrai pour le banc du Poulmic, fermé à l’exploitation en 1934 à cause du « pillage dont il fit l’objet en 1928 [18]». Ainsi, à l’annonce de ces interdictions, les pêcheurs réactivent leurs réflexes et sillonnent la rade à la recherche de praires, pétoncles, amendements marins et d’une nouvelle ressource qui s’annonce prometteuse : la coquille Saint-Jacques.

Arrêté de dragage des huîtres, maërl et goémon rouge en 1924 (source : SHD de Brest, 2P9/35).

Références
[1] Pouvreau Stéphane, L’huître plate : un patrimoine naturel à préserver, Conférences grand public Ifremer, Pôle numérique, Plouzané, le 6 février 2019.
[2] Pouvreau Stéphane, L’huître plate : un patrimoine naturel à préserver, Conférences grand public Ifremer, Pôle numérique, Plouzané, le 6 février 2019.
[3] Pouvreau Stéphane, L’huître plate : un patrimoine naturel à préserver, Conférences grand public Ifremer, Pôle numérique, Plouzané, le 6 février 2019.
[4] Levasseur Olivier, Histoire de l’huître en Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2006, pp. 6-7.
[5] Ministère de la Marine et des Colonies, Aménagement et mode d’exploitation des productions sous-marines de la rade de Brest : rapport de la commission mixte d’enquête et règlement pour l’exercice du dragage, Dupont, Paris, 1849, p. 17.
[6] Levasseur Olivier, Histoire de l’huître en Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2006, pp 23-49.
[7] Levasseur Olivier, Histoire de l’huître en Bretagne,Skol Vreizh, Morlaix, 2006, p. 29.
[8] Archives du SHD de Brest, 2A505.
[9] Statistique des pêches maritimes, année 1866, Paris, Imprimerie nationale, 1868, p. 41.
[10] Statistique des pêches maritimes, année 1868… p. 43.
[11] Statistique des pêches maritimes, année 1874… p. 53.
[12] Bouchon-Brandely Germain, « Rapport sur les résultats d’une inspection dans le bassin d’Arcachon », dans le Journal Officiel, le 15 mars 1888.
[13] Ce chiffre est observé lorsque l’on analyse la série de la Statistique des pêches maritimes.
[14] Guérin-Ganivet Joseph,Notes préliminaires sur les Gisements de Mollusques comestibles des Côtes des France. La rade de Brest, Bulletin de l’Institut Océanographique de Monaco, n°195, 1911, p. 9.
[15] Guérin-Ganivet Joseph, Notes préliminaires sur les Gisements de Mollusques comestibles des Côtes des France. La rade de Brest, Bulletin de l’Institut Océanographique de Monaco, n°195, 1911, p. 9.
[16] Guérin-Ganivet Joseph, Notes préliminaires sur les Gisements de Mollusques comestibles des Côtes des France. La rade de Brest, Bulletin de l’Institut Océanographique de Monaco, n°195, 1911, p. 9.
[17] Archives du SHD de Brest, 2P9/35, 15 décembre 1925.
[18] Archives du SHD de Brest, 2P9/35, 20 avril 1934.
[19] Voir les autorisations de dragage des huîtres plates conservées dans les archives du SHD de Brest, 2P9/35.
[20] Archives du SHD de Brest, 2P9/35, 1958-1959.
[21] Ces localisations sont tirées d’une carte anonyme conservée aux archives du SHD de Brest, 2P9/35, 1959-1960.
Pour citer :
- Le site HistoRade
ORGANISME ou NOM, Date de publication, disponible sur : [insérer adresse url], [Consulté le jour mois année]
Ex : HISTORADE, 01/09/2020, disponible sur [insérer adresse url], [Consulté le 01/09/2020].
- Un article édité sur ce site
NOM, Prénom, « Titre du document [en ligne] », date de publication, disponible sur Internet : [insérer adresse url], [Consulté le jour mois année]
Ex : BOSSEBOEUF Lucas, « Le moteur », disponible sur Internet : [insérer adresse url], [Consulté le 01/09/2020].
- Un passage tiré des archives
NOM de la structure d’archives, cote correspondante, date éventuelle du document.
Ex : Service Historique de la Défense de Brest, 2P9/35, le 25 avril 1935.
Crédit photographique de l’image d’en-tête : wikicommons.com
